Matin brun – Franck Pavloff

Matin Brun - Franck Pavloff

Le président Emmanuel Macron veut supprimer la liberté de l’instruction en rendant l’école obligatoire dès septembre 2021 1.

Je me suis dit qu’il était temps, moi aussi, de rendre public ce texte, Matin Brun, écrit par Franck Pavloff et publié en 1998.

Celui-ci nous rappelle que se laisser grignoter des libertés sans résister, sous prétexte qu’elles ne nous concernent pas directement2, ce n’est pas une bonne idée !
Que c’est même une très dangereuse idée qui nous rattrape toujours !

Une perte de liberté se rattrape rarement, voire jamais ! Ce fameux cliquet sur lequel on ne peut revenir.

Prenons garde, restons vigilant, et surtout, luttons contre ces suppressions de liberté !

La liberté de l’instruction de nos enfants est un enjeux important pour notre société, ne la perdons pas !

Résistons ! Avant qu’il ne soit trop tard !

Pas besoin de pratiquer l’IEF pour adhérer et défendre la liberté d’instruction, vous pouvez aussi le faire pour vos enfants, pour les leurs.

Un projet de loi visant à interdire l’instruction en famille (IEF) va être présenté au Conseil d’État fin octobre, pour être présenté à l’Assemblée Nationale le 09 décembre 2020. L’association LED’A est opposée à cette interdiction car elle va à l’encontre des principes qui lui sont essentiels : le respect du rythme, des centres d’intérêt et des aptitudes propres à chaque enfant.


Matin brun

de Franck Pavloff

Les jambes allongées au soleil, on ne parlait pas vraiment avec Charlie, on échangeait des pensées qui nous couraient dans la tête, sans bien faire attention à ce que l’autre racontait de son côté. Des moments agréables où on laissait filer le temps en sirotant un café. Lorsqu’il m’a dit qu’il avait dû faire piquer son chien, ça m’a surpris, mais sans plus. C’est toujours triste un clebs qui vieillit mal, mais passé quinze ans, il faut se faire à l’idée qu’un jour ou l’autre il va mourir.

– Tu comprends, je pouvais pas le faire passer pour un brun.
– Ben, un labrador, c’est pas trop sa couleur, mais il avait quoi comme maladie ? – C’est pas la question, c’était pas un chien brun, c’est tout.
– Mince alors, comme pour les chats, maintenant ?
– Oui, pareil.

Pour les chats, j’étais au courant. Le mois dernier, j’avais dû me débarrasser du mien, un de gouttière qui avait eu la mauvaise idée de naître blanc, taché de noir. C’est vrai que la surpopulation des chats devenait insupportable, et que d’après ce que les scientifiques de l’Etat national disaient, il valait mieux garder les bruns.

Que des bruns.

Tous les tests de sélection prouvaient qu’ils s’adaptaient mieux à notre vie citadine, qu’ils avaient des portées peu nombreuses et qu’ils mangeaient beaucoup moins. Ma fois un chat c’est un chat, et comme il fallait bien résoudre le problème d’une façon ou d’une autre, va pour le décret qui instaurait la suppression des chats qui n’étaient pas bruns. Les milices de la ville distribuaient gratuitement des boulettes d’arsenic. Mélangées à la pâtée, elles expédiaient les matous en moins de deux. Mon cour s’était serré, puis on oublie vite.

Les chiens, ça m’avait surpris un peu plus, je ne sais pas trop pourquoi, peut-être parce que c’est plus gros, ou que c’est le compagnon de l’homme comme on dit. En tout cas Charlie venait d’en parler aussi naturellement que je l’avais fait pour mon chat, et il avait sans doute raison. Trop de sensiblerie ne mène pas à grand-chose, et pour les chiens, c’est sans doute vrai que les bruns sont plus résistants.

On n’avait plus grand-chose à se dire, on s’était quittés mais avec une drôle d’impression. Comme si on ne s’était pas tout dit. Pas trop à l’aise. Quelque temps après, c’est moi qui avais appris à Charlie que le Quotidien de la ville ne paraîtrait plus. Il en était resté sur le cul : le journal qu’il ouvrait tous les matins en prenant son café crème !

– Ils ont coulé ? Des grèves, une faillite ?
– Non, non, c’est à la suite de l’affaire des chiens.
– Des bruns ?
– Oui, toujours.

Pas un jour sans s’attaquer à cette mesure nationale. Ils allaient jusqu’à remettre en cause les résultats des scientifiques. Les lecteurs ne savaient plus ce qu’il fallait penser, certains même commençaient à cacher leur clébard !
– A trop jouer avec le feu…
– Comme tu dis, le journal a fini par se faire interdire.
– Mince alors, et pour le tiercé ?
– Ben mon vieux, faudra chercher tes tuyaux dans les Nouvelles Brunes, il n’y a plus que celui-là. Il paraît que côté courses et sports, il tient la route.

Puisque les autres avaient passé les bornes, il fallait bien qu’il reste un journal dans la ville, on ne pouvait pas se passer d’informations tout de même.

J’avais repris ce jour-là un café avec Charlie, mais ça me tracassait de devenir un lecteur des Nouvelles Brunes. Pourtant, autour de moi les clients du bistrot continuaient leur vie comme avant : j’avais sûrement tort de m’inquiéter.

Après ça avait été au tour des livres de la bibliothèque, une histoire pas très claire, encore. Les maisons d’édition qui faisaient partie du même groupe financier que le Quotidien de la ville, étaient poursuivies en justice et leurs livres interdits de séjour sur les rayons des bibliothèques. Il est vrai que si on lisait bien ce que ces maisons d’édition continuaient de publier, on relevait le mot chien ou chat au moins une fois par volume, et sûrement pas toujours assorti du mot brun. Elles devaient bien le savoir tout de même.

– Faut pas pousser, disait Charlie, tu comprends, la nation n’a rien à y gagner à accepter qu’on détourne la loi, et à jouer au chat et à la souris. Brune, il avait rajouté en regardant autour de lui, souris brune, au cas où on aurait surpris notre conversation.

Par mesure de précaution, on avait pris l’habitude de rajouter brun ou brune à la fin des phrases ou après les mots.

Au début, demander un pastis brun, ça nous avait fait drôle, puis après tout, le langage c’est fait pour évoluer et ce n’était pas plus étrange de donner dans le brun, que de rajouter  » putain con « , à tout bout de champ, comme on le fait par chez nous. Au moins, on était bien vus et on était tranquilles. On avait même fini par toucher le tiercé. Oh, pas un gros, mais tout de même, notre premier tiercé brun. Ça nous avait aidés à accepter les tracas des nouvelles réglementations.

Un jour, avec Charlie, je m’en souviens bien, je lui avais dit de passer à la maison pour regarder la finale de la Coupe des coupes, on a attrapé un sacré fou rire. Voilà pas qu’il débarque avec un nouveau chien !
Magnifique, brun de la queue au museau, avec des yeux marron.
– Tu vois, finalement il est plus affectueux que l’autre, et il m’obéit au doigt et à l’oeil. Fallait pas que j’en fasse un drame du labrador noir.

À peine il avait dit cette phrase, que son chien s’était précipité sous le canapé en jappant comme un dingue. Et gueule que je te gueule, et que même brun, je n’obéis ni à mon maître ni à personne ! Et Charlie avait soudain compris.

– Non, toi aussi ?
– Ben oui, tu vas voir.

Et là, mon nouveau chat avait jailli comme une flèche pour grimper aux rideaux et se réfugier sur l’armoire. Un matou au regard et aux poils bruns. Qu’est ce qu’on avait ri. Tu parles d’une coïncidence !

– Tu comprends, je lui avais dit, j’ai toujours eu des chats, alors… Il est pas beau, celui-ci ?
– Magnifique, il m’avait répondu.

Puis on avait allumé la télé, pendant que nos animaux bruns se guettaient du coin de l’oeil. Je ne sais plus qui avait gagné, mais je sais qu’on avait passé un sacré bon moment, et qu’on se sentait en sécurité. Comme si de faire tout simplement ce qui allait dans le bon sens dans la cité nous rassurait et nous simplifiait la vie.

La sécurité brune, ça pouvait avoir du bon.

Bien sûr je pensais au petit garçon que j’avais croisé sur le trottoir d’en face, et qui pleurait son caniche blanc, mort à ses pieds. Mais après tout, s’il écoutait bien ce qu’on lui disait, les chiens n’étaient pas interdits, il n’avait qu’à en chercher un brun. Même des petits, on en trouvait. Et comme nous, il se sentirait en règle et oublierait vite l’ancien.

Et puis hier, incroyable, moi qui me croyais en paix, j’ai failli me faire piéger par les miliciens de la ville, ceux habillés de brun, qui ne font pas de cadeau. Ils ne m’ont pas reconnu, parce qu’ils sont nouveaux dans le quartier et qu’ils ne connaissent pas encore tout le monde.

J’allais chez Charlie. Le dimanche, c’est chez Charlie qu’on joue à la belote. J’avais un pack de bières à la main, c’était tout. On devait taper le carton deux, trois heures, tout en grignotant. Et là, surprise totale : la porte de son appart avait volé en éclats, et deux miliciens plantés sur le palier faisaient circuler les curieux. J’ai fait semblant d’aller dans les étages du dessus et je suis redescendu par l’ascenseur. En bas, les gens parlaient à mi-voix.

– Pourtant son chien était un vrai brun, on l’a bien vu, nous !
– Oui, mais à ce qu’ils disent, c’est que avant, il en avait un noir, pas un brun. Un noir.
– Avant ?
– Oui, avant. Le délit maintenant, c’est aussi d’en avoir eu un qui n’aurait pas été brun. Et ça, c’est pas difficile à savoir, il suffit de demander au voisin.

J’ai pressé le pas. Une coulée de sueur trempait ma chemise. Si en avoir eu un avant était un délit, j’étais bon pour la milice. Tout le monde dans mon immeuble savait qu’avant j’avais eu un chat noir et blanc.

Avant ! Ça alors, je n’y aurais jamais pensé !

Ce matin, Radio brune a confirmé la nouvelle. Charlie fait sûrement partie des cinq cents personnes qui ont été arrêtées. Ce n’est pas parce qu’on aurait acheté récemment un animal brun qu’on aurait changé de mentalité, ils ont dit.

 » Avoir eu un chien ou un chat non conforme, à quelque époque que ce soit, est un délit.  » Le speaker a même ajouté  » injure à l’Etat national « . Et j’ai bien noté la suite. Même si on n’a pas eu personnellement un chien ou un chat non conforme, mais que quelqu’un de sa famille, un père, un frère, une cousine par exemple, en a possédé un, ne serait ce qu’une fois dans sa vie, on risque soi-même de graves ennuis.

Je ne sais pas où ils ont amené Charlie. Là, ils exagèrent. C’est de la folie. Et moi qui me croyais tranquille pour un bout de temps avec mon chat brun. Bien sûr, s’ils cherchent avant, ils n’ont pas fini d’en arrêter des proprios de chats et de chiens.

Je n’ai pas dormi de la nuit. J’aurais dû me méfier des bruns dès qu’ils nous ont imposé leur première loi sur les animaux.

Après tout, il était à moi mon chat, comme son chien pour Charlie, on aurait dû dire non.

Résister davantage, mais comment ?
Ça va si vite, il y a le boulot, les soucis de tous les jours.
Les autres aussi baissent les bras pour être un peu tranquilles, non ?

On frappe à la porte.
Si tôt le matin, ça n’arrive jamais.
J’ai peur.
Le jour n’est pas levé, il fait encore brun au dehors.

Mais, arrêtez de taper si fort ! J’arrive !

  1. La loi finale sera différente, mais appartiendra toujours à un pack de lois très inquiétantes : les lois contre le « séparatisme », d’où ce texte ne s’éloigne pas du tout.
  2. Elles ne vous concernent peut-être pas forcément maintenant, mais elles pourraient concerner vos enfants demain ! Difficile de connaître leur parcours scolaire à l’avance ! Et quid de leurs enfants à eux ensuite ?

2 réponses sur “Matin brun – Franck Pavloff”

  1. Bonjour Antoine et onnesaitplustonprénom!
    les années passent mais rouvrir votre blog, ça fait plaisir.
    Oui il faut se battre chacun a son niveau pour perdurer l’école a la maison,
    moi, j’ai même racheté http://macron.education en plus de la panoplie complète du ministre. Mais je suis trop pris pour faire plus!
    Félix a 32 et Noé 30 vont bien.
    quel âge ont les vôtres?
    amicalement
    jc et Marianne

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